Se constituer un plan de carrière a-t-il encore un sens?

Partager:

Faut-il toujours échafauder un plan de carrière pour réussir son ascension professionnelle ? Cela a-t-il encore un sens alors que nombre de métiers sont voués à disparaître à moyen ou long terme et que l’organisation du travail et les hiérarchies vont être fortement bousculées, rendant acrobatique toute projection à long terme ? Il est loin le temps où les grands groupes, après avoir demandé à leurs jeunes recrues où elles se voyaient dans vingt ans, concoctaient des formations ad hoc pour leur permettre de réaliser, poste après poste, le projet annoncé à l’arrivée.

Si l’on ajoute les ruptures technologiques et sociales qui interviennent au fil de la vie professionnelle, l’absence de visibilité permet de moins en moins d’anticiper. « Pour toutes ces raisons, les carrières sont moins balisées qu’avant, confirme Yolaine von Barczy, ex-DRH dans l’industrie pharmaceutique, en particulier parce que les organigrammes ont été aplatis, réduisant les possibilités de petites promotions, et que les possibilités de mobilités sont plus difficiles à gérer dans des couples bi-actifs. »

Bâtir un projet

Cela empêche-t-il pour autant de se projeter ? Certainement pas. « Si le plan de carrière à l’ancienne n’existe plus, la démarche de se projeter dans l’avenir reste bonne », constate Mme von Barczy. Mais sans doute faut-il le concevoir autrement. « Avoir un plan de carrière, ce n’est plus prévoir une succession de postes dans des groupes de renom, explique Florence Gazeau, ex-cadre dirigeante du groupe anglais ICI et, depuis quinze ans, coach pour dirigeants. C’est bâtir un projet de vie personnelle et professionnelle sur une bonne connaissance de ses aspirations profondes. À commencer par le choix de l’univers dans lequel on souhaite travailler, car les toutes premières expériences forgent à vie ses compétences et sa culture. »

Car la question de l’opportunité du plan de carrière ne se pose pas dans les mêmes termes, selon que l’on cherche un poste dans un grand groupe industriel ou dans une start-up. Selon Brigitte Chassagnon, ex-DRH d’un grand groupe automobile français, devenue coach, « les grandes entreprises industrielles ont besoin de cadres connaissant en profondeur les produits, souvent complexes, l’entreprise et l’environnement », explique-t-elle. Elles ont donc toujours besoin de cadres durablement implantés. Les jeunes diplômés peuvent prévoir d’y faire une carrière longue qui sera d’autant plus riche et variée que ces groupes offrent un large spectre d’activités, donc de véritables perspectives. Mais ce sera vraisemblablement au sein d’un même secteur.

Un plan de carrière a donc un sens pour ceux qui choisissent d’entrer dans ces secteurs complexes. Selon Mme Chassagnon, « cela commence par un choix de secteur d’activité et de taille d’entreprise, sur lesquels il faut faire un pari. Cela n’a pas donc changé. En revanche, le plan de carrière a muté, avec un horizon raccourci et un mode opératoire plus conforme à l’époque ». « Dans ces groupes, on a intérêt à définir avec la DRH un plan de développement visant à préciser les compétences sur lesquelles travailler lors des deux prochaines étapes, ainsi que les postes et projets qui permettront de le faire », complète Yolaine von Barczy.

Des évolutions à court terme

« Plus que des plans de carrière, les sociétés ont développé des perspectives de mobilité à court terme en identifiant les successeurs potentiels pour les postes afin de retenir les talents en leur proposant des opportunités de développement », note Florence Gazeau. Mais alors que les moyens attribués à la gestion de carrière se sont réduits partout, chacun est désormais libre de gérer la sienne propre. « Avant, les grands groupes géraient les carrières, aujourd’hui il faut le faire soi-même tout en mettant régulièrement à jour son plan de développement avec son employeur », confirme Yolaine von Barczy.

En revanche, dans les start-up, qui naissent et meurent au rythme effréné des révolutions technologiques, le plan de carrière se révèle nettement plus aléatoire. « Les postes offerts par ces start-up à de jeunes diplômés peuvent être très attractifs, mais les propositions d’évolution ultérieure sont pour le moins incertaines, souligne Brigitte Chassagnon. Il faut bien avoir à l’esprit que cet univers est encore particulièrement instable. Au mieux, on y fait carrière en fonction des opportunités, au pire, les parcours risquent d’être très irréguliers, voire semés de trous. » Ce qui fait dire à Isabelle Tchernia, consultante RH chez Clef Conseil : « Dans la technologie, où prévalent les petites structures à durée de vie courte, la notion de carrière est en train d’éclater. Les jeunes d’aujourd’hui seront amenés à faire plusieurs métiers dans plusieurs structures, voire à monter la leur. »

Peut-on prévoir de passer d’une start-up à un grand groupe ? « Je pense que c’est difficile, estime Brigitte Chassagnon. Quand on s’est adapté à un mode opératoire souple, on a beaucoup de mal à adopter la culture des procédures qui prévaut dans les grands groupes, et vice versa d’ailleurs. » Du plan de carrière bien élaboré au succès de sa vie professionnelle, il y a un pas qui nécessite quelques ingrédients, comme l’explique Florence Gazeau : « Ceux qui ont réussi ont écouté leurs aspirations profondes à leur entrée dans la vie active. Ils ont su saisir les opportunités qui se présentaient et mener à bien les transitions. »

Source: Le Monde

Partager